jeudi 5 février 2015

Critique littéraire : « Souvenirs et perspectives » de Brice Dier Koué



« Ces choses que je mets à l’écrit n’auront jamais de consonance orale. Elles sont faites pour être tues et tuées sur ces blanches vierges feuilles. »

Les paroles s’en vont, les écrits restent. Brice Dier Koué obéit à cette règle. Souvenirs & perspectives a déclencher en moi le courage et la volonté de persévérer. Un livre plein de sens et de bouillonnement intellectuel qui doit être lu par tout le monde. La préface de Samba Bokoum en dit plus sur l’auteur que l’auteur ne veut livrer de lui-même.

« On n’a jamais une nouvelle vie, mais de nouvelles pages » dixit Samba Bokoum. Cette vie ne mériterait-elle pas d’être si bien vécue ? 7 chapitres, 12 poèmes rédigés avec netteté, des comportements blâmés sans complaisance. Autobiographie + recueil, un style original. Nous sommes à l’aune des jeunes auteurs, Brice ne fait pas défaut.

Victorien est maintenant jeune aventurier à Dakar. Malgré tout cela, l’amour, cette chose ineffable, indescriptible, unit Nogaye (mère de Brice)  et Victorien (son père). Dans une relation secrète, naissaient les frères jumeaux 3 jours avant la mort du père de Nogaye. Les jumeaux furent confiés à Mamie Brigitte qui était dans une posture de grand-mère par manque de moyens de leur mère et de leur père biologique. Du côté de la famille de Nogaye, les jumeaux sont musulmans. Brice est Bassirou et Serge est Balla. Du côté de maman Brigitte et de papa, ils s’appelaient Brice et Serge. Un paradoxe sociétal, le perplexe ne fait que commencer. Le sort des frères est celé par le village SOS et renvoyé après à Louga chez Maman Cyrille qui acceptera désormais d’en faire bon usage. Maman Cyrille est désormais maman des jumeaux et le père n’est rien d’autre qu’un chef de village, un simple chef de village. Quoi de plus simple que de débuter une vie bouillonnée d'embûches ?

Une leçon pour ceux qui ne se battent pas et qui se disent que les dés sont déjà pipés et qu’il faut baisser les bras. Appel aux parents qui fuient leur responsabilité devant de tels faits. Combien d’humains veulent donner un bébé en pleine forme ? Combien ? La société africaine et celle sénégalaise en particulier se veulent comme donneur de leçons alors que les tares les plus élémentaires, nous ne pouvons pas les remédier.

Serge quitte ainsi le village SOS en classe de 5ième et ne reviendra que l’année suivante. Maman Cyrille doit elle aussi quitter l’internat et Brice ne sait plus à quel Saint se vouer. Seul, face aux innombrables défis et des personnes de mauvaise foi, il (Brice) quitta le village l’année suivante avant même d’atteindre l’âge normal (18 ans), un énorme risque. Il part avec fierté mais avec un regret de quitter les siens. Et pourquoi d'ailleurs mesure-t-on l'âge de la maturité à 18 ans ? Au nom de quelle foi ? La maturité ne dépend guère de la fleur de l'âge, elle est un concept idéalisé ayant comme soubassement l'argument et l'acceptation de la raison et de son égo. Quand on s'assume, on s'assume ! Et quand on a cette conscience morale collective de ne pas blesser et d'assumer ses responsabilités, on est mature.

L’enfant Brice est forgé sous un dialogue de religion alors que ses parents biologiques avaient d’énormes problèmes pour se lier. Ne devons-nous pas nous arrêter et accepter de se regarder ? Religions, cultes, rituels, valeurs ancestrales et cultures fanatiques seraient-ils un obstacle quant à l’épanouissement de l’humain ? Les hommes ont transformé et innové les religions en leur guise et ont imposé une culture tributaire comme une seule doctrine qui vaille. Nous sommes mal barrés, une culture commune de matérialistes. Rien que des « humains » de mauvaise foi capable de se tondre la pelouse les uns des autres.

Enjambement de problèmes pour l’enfant Brice. Un autre enfer l’attend aux parcelles assainies, chez son père. Une maison pas du tout modeste avec des conditions de vie relativement mauvaises. De quoi avoir la motivation pour se battre ou se laisser tout simplement abattre par la déréliction. Une menace d’exclusion pèse sur le dos de Brice si jamais il n’obtient pas le bac. À la tête d’un mouvement de grève réclamant la réintégration de son frère dans la structure d’enseignement privée, Brice réitère son caractère « rebelle ». Il est plus que jamais assujetti à un sort qui ne dépend guère de lui. Traité de tous les noms d’oiseaux, il se retrouve seul, face à son destin.  

Après une lutte intense ayant comme soubassement le renouvellement de la bourse d’étude pour Brice Koué, la bataille fut gagnée. Il intègre ainsi le Groupe ISM (Institut Supérieur de Management) le 08 Février 2008. Amitié celé avec Samba Bokoum qui lui a passé un stylo et une feuille le premier jour en salle. Il fait la connaissance d’autres amis : Wagane et Aly. Brice fut séparé de Samba après la création de nouvelles classes. Mais Samba, ne voulant pas se séparer de son ami, mettra tous les moyens à sa disposition pour faire revenir Brice dans sa classe d’origine. 

Misant sur « le tout pour le tout », les deux amis créent ensemble le concept « NOUS », bâti sous l’unité pour se présenter aux élections présidentielles du BDE (Bureau des Etudiants). Un problème de candidat se posa et finalement à une semaine des élections, l’équipe choc « NOUS » décide d’investir Ndèye Fatou Sagna, une candidate qu’on n’avait pas vu venir. Elle ne fut connue qu’au jour des élections, une vraie stratégie politique qui devrait surprendre plus d’un et qui doit inspirer tout un chacun. Après une campagne harmonieuse dont le seul but était de convaincre les électeurs, Ndeye Fatou récolte les fruits de son dur labeur, elle remporte les élections.

Brice découvre ses talents d’orateurs et de présentateurs de programmes lors de la journée d’intégration. En effet, l’école éprouvant d’énormes difficultés à trouver un présentateur, accrocha ce lourd fardeau à Brice pour qu’il puisse monter au créneau. La cérémonie magnifique avec un orateur formidable, la descente aux enfers fut vite aménagée. Brice est à la recherche d’estime un peu plus tôt que prévu. Il perd son humilité et sa simplicité acquises au village SOS et avec l’enseignement fourni par Maman Cyrille. Il ne pouvait dès lors comprendre que le Président DIAW pouvait s’adresser à lui en ces mots simples et accessibles « Jeune homme vous allez bien ? », sans même passer par son nom devenu célèbre et connu de tout le monde, Brice ne pouvait comprendre pourquoi un tel Monsieur se permet de snober son nom. C’était là, un Monsieur voulant corriger l’attitude ringard de son jeune étudiant se voyant déjà aux anges. Une très belle leçon, l’humilité acquise durant des décennies, peut se renverser contre soi-même en devenant néfaste et dangereuse. 

À 19 ans, un réveil amer et brusque secoue les frères jumeaux. Une dispute des deux parents. Le papa chasse ses fils jumeaux hors de la maison. Les enfants n’auront d’autre choix que celui d’aller s’installer dans le quartier interdit par papa, Grand Dakar, ce quartier « fou ». Les jumeaux refusèrent une proposition de leur papa de rentrer chez eux et décident de louer une chambre même s’ils n’avaient pas de source de revenu. Un destin déjà tracé ou simplement fut-ce un refus d’obéissance face à un commandement parental que tout jeune se devrait d’ailleurs d’obéir ? 

Brice est éligible au programme d’échange de l’ISM ainsi que ses amis. Cependant, du fait de ses moyens financiers très maigres, il ne pouvait se le payer. Ses amis partent poursuivre leurs études hors du pays et Brice resta seul, face à son destin de valider l’année en cours. Serge est devenu musulman et s’appelle désormais Cheikh Ahmed Tijane, un nom de « Saint » tandis que de l’autre côté de la rive, Brice quant à lui, reste dans le cercle des athées. Toujours l’enfant qui refuse d’être assimilé « gratuitement » tournant le dos à tout dogme et culte.

Le 19 juin 2010, ses amis rentrent et c’est le jour de la graduation. Les frères de l’équipe « NOUS » furent très honorés. Aly termine Major de sa promotion, Brice eut l’honneur de lire le discours des étudiants de la promotion Martin Luther King. Les trois années terminées, les étudiants furent recrutés par le Président du Groupe pour des travaux ponctuels. Brice découvre ses talents de professeur. En l’absence de son mentor Monsieur Patrick Ntyamé, il fait le cours à sa place aux yeux et à la surprise des membres de l’administration.

Monsieur Youssou Diop aidera Brice à réaliser ses rêves de poursuivre ses études supérieures à l’étranger. Le Maroc est un pays d’accueil. Il lui prend en charge son billet d’avion et son argent de poche. Il fut accueilli à Fès par Wagane et Tall qui l’avaient devancé de quelques jours. Il fait la connaissance de Christian « Bougof » un cousin à Roger. Le racisme et le snob deviennent désormais les ennemis déclarés de cet enfant « noir ». Roger est alors candidat pour le poste de Président de l’association des Sénégalais de la ville et ce fut l’occasion encore une fois de plus pour Brice de démontrer ses talents d’orateurs. Finalement, ils remportent tous les élections et l’orateur fut élu Chargé de communication.

Périples sur périples, embûche désagréable comme surprenante, on découvre un nouveau personnage, un homme qui adore la politique, saine ai-je bien dit. Quelqu’un qui s’engage férocement dans la marche des activités de son pays. Un choix qu’il assume volontiers puisqu’il décide de rentrer au Sénégal, malgré tout, afin de participer à la vie politico-sociale trop secouée avec le Président sortant (Me Abdoulaye Wade) qui veut briguer un second mandat. Un instant irréfléchi, pour moi, de ma part, de mêler ou de créer un quelconque enjambement de la vie professionnelle à la vie personnelle.

Il  perd tout son contrôle lorsqu’on a dérobé sa sacoche qui contenait 400 Euros confiés par une fille destinés à sa mère au Sénégal, son téléphone y compris. Il risque de rater son vol pour le lendemain et n’a pu trouver d’autres moyens que de se rabattre sur un vieil ami, Ousmane Mané, un ancien enfant de troupe. Il doit faire tout de même escale en Tunisie même s’il a pu obtenir l’autorisation de sortie du territoire qui devait être délivrée par le consulat sénégalais à Casa dont la durée de procuration est de 2 jours. Un aperçu pas du tout efficace, un moyen de dénoncer les mauvaises conditions de vie dont sont victimes nos concitoyens de la diaspora. Autant de jours pour délivrer une autorisation de sortie qui normalement pourrait se faire avec des systèmes numérisés. 

Les 400 Euros de viatique s’envolèrent hélas. La fille apprenant la nouvelle sur Facebook, ne peut que s’attacher à ses cordons d’insultes à l’endroit de Brice. Qu’auriez-vous fait d’autre à sa place ? Dites-le moi ? Nogaye Pène au chevet de Brice réussit à rembourser les 90 % de la somme. Malgré peine et déception venant de toutes directions, Brice est au Sénégal pour terminer les études avec son Master 2. Il y retourne avec une ambition démasquée quand même, de « laver son linge sale » et réussit à rembourser les 10 % qui restaient à la jeune demoiselle. Il partagea sa chambre avec des amis qui lui sont homogènes : Papis Ndiaye, Djiby « Marginal », Malick « Milk » et Mamadou Ly « Mo ». Il embrassa de la drogue (hachich) légalisée au royaume chérifien.

Je ne comprends plus cette personne ! Brice  rentrent de nouveau au Sénégal et travaille désormais pour une agence de communication : Trust-Groupe que dirigeait Moubarack Wade qu’il a monté avec un autre sénégalais de la diaspora, Oumar Diawara. Un premier coup de fouet pour sa personne ou une ambition démesurée de leadership ? Brice démissionne de l’agence suite à des conflits. Une vie tourmentée, échecs après échecs diront certains ou l’envie de toujours se hisser au sommet rétorqueront d’autres. « Je démissionne alors », peste-t-il !

Qui ne risque rien n’a rien ou est-ce une coïncidence hasardeuse ? Le PDG du Groupe ISM, Amadou Diaw fait appel à lui pour enseigner le module géopolitique. Il est aimé des étudiants, un leadership et un charisme sans complaisance jusqu’à même être interprétés d’un manque d’humilité par les uns et d’une carence en modestie par les autres. Le PDG le convoque à son domicile et lui dit « Attention, il paraît que vous faites le malin » (une citation qui me fait rire) ou d’autres citations comme « Il ne faut pas sortir la tête, on risque de vous la couper ». Je me souviens, pour ma part du gâteau, quand ledit Président me pestait « Attention jeune homme ! Vous êtes dans tous les journaux ces temps-ci » ou d'autres phrases comme « Vous vous prenez pour une star » (confié dans l’ascenseur). Tant d’avertissements qui laissent Brice perplexe, seul, face à son sort. Lui qui, pourtant, se voyait déjà dans le cercle restreint des personnes humbles. Il fait la connaissance de deux personnes dans l’administration, Souleymane Seck et Pape Ahmeth Diop au même moment où Aly vivait en France, Wagane qui excelle en music. Le seul souci, c’est la brouille avec Samba.

Il devient le meilleur professeur suite à un vote des étudiants. Une nouvelle carrière s’annonce avec le module développement personnel, une formation sur le leadership. Même avec une piste bien garnie et aménagée, il suit son intuition, celle de relever d’autres défis. Brice démissionne encore pour être patron avec Souleymane et Ahmeth, d'un cabinet de consultance en management !

D’autres défis se dessinent à l’horizon. Entre-autres le mariage avec une amie, une très bonne amie. Une amie avec qui il est prêt à « partager mes jours et mes nuits, mes rêves et mes cauchemars, mes joies et mes larmes ». Et c’est grâce à elle qu’il s’est réconcilié avec les dogmes et cultes religieux. En effet, « Brice » est devenu « Ibrahim », donc musulman. Lui qui criait à cri et à cor son athéisme pour éviter toute sorte d’amalgame sur sa religion. Il aspire à sortir la tête de l’eau en ayant comme ambition, rompre tout contact avec la cigarette avec le soutien de son amie. Que dirait-on de ceux qui se cherchent une femme, une compagne non pas généreuse ni ayant une ambition saine, mais tout juste par le plaisir de se la trouver ? Les hommes comme les femmes doivent apprendre de leurs erreurs et devenir plus responsables. Quoi de plus bon que d’être guidée par quelqu’une dont toutes les touches prédisaient incapable ?

« Ces choses de mon cœur » est la deuxième partie d’un tel ouvrage. Constitué de poèmes, elle montre la polyvalence de l’auteur dans le domaine littéraire. Il y montre son côté narcissique, le prix de sa personne, pourquoi l’on devrait se targuer de l’avoir. Il y touche aussi le thème de l’amour, ce coup de cœur. Amour, utopie, celui qui se cherche mais qui ne se découvre pas. L’amour ! Le désintéressement total, le refus confus et insupportable, Brice se détache de son monde et crée ainsi son espace intime.

Il y révèle l’incompatibilité totale et impartiale de sa personne aux désirs de sentiments et d’émotions. « L’électron libre » s’assume, bien de se retrouver en face d’un miroir et de se demander la vraie essence de sa personne. Entre interrogation, interruption et conversation avec soi-même, l’auteur se remet en cause d’une manière perpétuelle. Il se permet même de tutoyer Dieu et son Prophète (PSL) et entama une réconciliation avec la religion en allant directement à la source coranique. Une touche singulière. Et si Dieu a toujours été notre ami, n’a-t-on toujours pas ce droit ? Il évoque ainsi l’importance de la prière, la finitude (cette bombe à retardement qui ne tardera sans doute à s’éclater en chacun de nous) et cette religion méprisée et mal comprise.

Sa famille, ses amis et son entourage ne cesse de revenir dans sa pensée. Il se souvient souvent de ceux qui ont été là avant que rien ne devienne quelque chose. L’idée est d’être toujours en mouvement en gardant toujours la tête sur les épaules.

Son amour au pays Sénégal est sans limites. Le devoir d’un citoyen et cet attachement au berceau ne l’ont-ils pas poussé à rentrer au bercail pour assister aux évènements de l’ancien régime ?

L’athée converti en musulman adore Dieu. Il s’interroge sans cesse sur cette adoration. Ce qui me pousse à dire qu’il faut toujours un amour envers le Tout Puissant non pas par crainte mais tout simplement par amour, par pur amour. La sacralité que devrait avoir la religion est délaissé et laissé-pour-compte au profit des choses mondaines, aux désirs succulents.

Il termine la rédaction de cet ouvrage, naturellement, avec un poème dédié à sa mère. Cette peur de la vieillesse et de l’éloignement de cette vie qui la guette. Brice reconnaît et assume sa position d’être plus courageux, sachant que tôt ou tard, cette vie ne lui fera pas de cadeau.

Ma citation préférée de ce livre « Un Président ne réfléchit pas, il se soucie. Je ne veux pas me soucier, je veux juste réfléchir »

abdoukhadre2011@gmail.com

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