Je suis pauvre et indiscipliné, mais je gaspille et je
distribue des billets de banque dans les « xawaaré et lamb »
sénégalais.
Le Sénégal, si pauvre en ressources naturelles, peut-il
aspirer à devenir un pays émergent, riche et prospère, si nous continuons à
cultiver ces deux tares du sous-développement : le gaspillage et l’indiscipline.
Le gaspillage est peut-être pire que la corruption, parce qu’il
ne profite à personne, et nous en donnons l’illustration en faisant ripaille
pendant quelques jours tandis que la disette règne le reste de l’année, en
distribuant dans les « xawaaré » des sommes qui auraient permis à d’autres
de vivre dans la dignité. Les Nations-Unies
estiment aujourd’hui que plus de 900 000 sénégalais sont menacés de famine
dans cinq régions, et pourtant, le lendemain de nos fêtes religieuses et
familiales, on jette à la poubelle des reliefs de plantureux festins.
Quant à l’indiscipline, le jour où nous aurons appris à faire
la queue devant les guichets, à céder la voie à ceux qui auront priorité sur
nous, à libérer les trottoirs au seul profit des piétons, nous aurons fait un
grand pas vers le développement. N’oublions pas enfin que c’est de notre
indiscipline notoire qui a été à l’origine de ce qui est désormais considéré
comme la plus grande catastrophe maritime en temps de paix : le naufrage
du JOOLA.
Pourquoi avons-nous autant de mépris pour le silence et le
recueillement et accompagnons-nous toutes nos activités et cérémonies de bruits
et de clameurs, les plus gaies comme les plus tristes, les profanes comme les
religieuses ?
Quel droit peuvent opposer le voisin, le malade, le
vieillard, le nourrisson, soucieux de quiétude, aux décibels qui se déversent
de tous les lieux pour célébrer les mariages, les baptêmes, les décès, les
invocations religieuses à la frénésie populaire, avec souvent le même ton et la
même outrance ? Sommes-nous obliger de barrer la route pour manifester
notre contentement et en remercier le Seigneur ? Serions-nous obligés d’entraver
la libre circulation des personnes et de leurs biens sous le seul prétexte que
nous devons rendre grâce au Prophète (PSL) ?
Les « Driankés à la sénégalaise ou Grande dame» à
la saucette viennent ajouter une coupe d’eau à la soupe. Nous avons entretenu
une tendance fâcheuse avec la chose folklorique. Nos grandes dames dans les
cérémonies coutumières comme religieuses claquent des dents et s’engouffrent à
chaque fois que les griots flattent leur égo. Ce n’est guère le bruit orchestré
de chaises qui dérange en soi, mais le folklore qui cerne ce qui symboliquement
au Sénégal, matérialise le départ d’un tel (le défunt) ou l’arrivée d’un autre
(le bébé). Les cérémonies de passation de service même sont devenues sous nos
tropiques des shows et bamboulas où griots et militants politiques se côtoient
en se gênant d’une façon qui n’honore pas du tout l’administration.
Ne parlons pas des parents émotionnels lointains et des amis
curieux et douteux à la fois. Que ceux qui sont débarqués aillent ailleurs
réconforter leurs militants et que les nouveaux nommés fassent savoir aux leurs
qu’un portefeuille de Maire, Gouverneur ou Préfet n’est pas une acquisition
mais plutôt une fonction de service au peuple qui devrait être accompagnée de
prières et non d’un « festival international de sonorité ».
On assiste à un défilé de mode de pagnes tissés et de basins « riches »
dans les cérémonies de funérailles ou de baptêmes. Les femmes modestement
voilées pour ne pas dire à moitié « tête nue » se succèdent en
voiture de luxe à votre chevet pour les « siggil ndigalé » d’usage. Elles croisent
presque sur le pas de votre porte d'autres femmes hyper-maquillées à volontiers
venues pour les « ndokkalé », les « warougar » et les « térangas » nocturnes du
fastueux « ngenté ».
OH MY GOD quel peuple !!!
La romancière sénégalaise reconnue Mariama Ba ne l’a pas
esquissé dans son roman Une si longue lettre « Chaque
groupe exhibe sa participation aux frais. Jadis, cette aide se donnait en
nature : mil, bétail, riz, farine, huile, sucre, lait. »
Mais dommage qu’aujourd’hui, elle s’exprime ostensiblement en
billets de banque et personne ne veut donner moins que l’autre. Troublante
extériorisation du sentiment intérieur que l’on ne peut pas évaluer en Francs !
Et je pense encore : combien de morts auraient pu survivre si, avant
d’organiser leurs funérailles en festin, le parent ou l’ami avait acheté
l’ordonnance salvatrice ou payé l’hospitalisation. A-t-on besoin très sincèrement
d’inscrire les noms de tous ceux qui ont contribué financièrement le jour des
funérailles ? Nous avons un rapport biaisé avec l’argent. Que ce soit
celui du peuple ou de nos proches. Et tant que nous ne changeons pas ce rapport
avec l’argent, nous continuons à nous noyer davantage.
Ainsi, le fondement de nos sociétés africaines pouvait
être résumé en une seule phrase : don contre don. La communauté était
toujours sensible à ce qui se passait chez l’autre. Mais quand on en arrive à
un niveau tel qu’on exige de recevoir ce que l’on a donné ou même plus, c’est
catastrophique ! Ces notations de sommes alors deviennent non seulement
une reconnaissance lorsque les évènements passeront, mais un moyen de contrôle aberrant.
Abordons les fêtes. Qu’on en parle et qu’on en finisse !
Pourquoi sommes-nous le seul pays sur la planète à fêter à la
fois et à considérer comme jours fériés toutes les dates remarquables des
calendriers musulman et chrétien, ce qui, ajouté aux fêtes républicaines et
autres innovations conjoncturelles, fait de notre pays l’un de ceux où l’on
travaille le plus au monde ?
N’est-il pas paradoxal que les Sénégalais chôment le jour de
l’Ascension, qui n’est ni férié en Italie ni en Espagne, pays catholiques s’il
en est, où l’Assomption qui est un jour de travail dans tous les pays
scandinaves ? Tout comme la justice, la vérité aussi s’impose à tous et c’est
faire mauvais usage de notre « agit-prop » que de se soustraire à ce
nécessaire équilibre qui permettait de donner à chacun la part qui lui revient,
toute la part, rien que la part.
Je comprends fortement pourquoi de tels énergumènes se
manifestent sans pourtant qu’on se pose la vraie question. Nous ne pouvons rien
nous reprocher. Nous avons fortement hérité d’un système occidental qui n’est
pas adapté ni à nos valeurs, ni à nos idéologies. Nous ne fêtons pas plus que
la France, tenons le pour dit ! En 2015, la France compte 11 jours de fériés
(fêtes religieuses et civiles) légalement définis par le Code du travail. Sans
pour autant compter alors les fêtes d’hiver, de jeunesse, de pâques et de noël
pour les étudiants.
Alors où se trouve le lapsus révélateur ? C’est que nous
ne travaillons pas assez. Nous nous amusons toute l’année et réclamons de
grandes fêtes durant les vacances sous prétexte qu’on a besoin de repos. Comparé
à la France à qui ses citoyens travaillent beaucoup avant de songer à prendre
des congés. Alors, notre retard est dû aux fêtes. En revanche, avec plus de
rigueur dans le travail, cela demeurera une cohésion sociale et à la limite ces
fêtes contribueront plus à la fructification des revenus et des chiffres d’affaires
au lieu de les rabaisser.
Les fêtes peuvent contribuer à l’économie nationale mais
dommage aussi que nous avons un système de management français qui a, à bien
des égards, écarté complétement la religion de la sphère administrative et
étatique. Dans certaines entreprises même, on interdirait aux membres de prier
ou de porter des habits traditionnels sous prétexte qu’il y a un « dress-code »
à respecter.
Nous gagnerions mieux à imposer notre posture démocratique basée
sur nos valeurs idéologiques et culturelles afin de bâtir une République forte
et forteresse.
abdoukhadre2011@gmail.com
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