Mame Cheikh Ibrahima FALL marqua
un point dans l’histoire du Mouridisme, car il consolida cette relation
maître-disciple. Jusqu’à des époques anciennes où le Cheikh ne favorisait pas
son degré de spiritualité sur ses disciples, là où plusieurs voyaient encore
Ahmadou Bamba comme un maître d’école coranique, Mame Cheikh Ibrahima FALL le
voyait comme un Guide authentique.
Nous savons tous que Serigne
Touba était de nature très sobre et détestant les vénérations envers sa propre
personne. Il n’a jamais poussé ses disciplines à chercher la baraka en lui. La
baraka peut être définie comme la bénédiction émanant d’une personne, son aura,
la force divine l’entourant. Dans la société, lorsque la baraka d’une personne
était reconnue, elle était servie afin d’obtenir des prières de lui, ses remerciements.
Mame Cheikh Ibrahima FALL quant à
lui s’imposa une grande vénération envers Ahmadou Bamba, et quelques peu après,
il est suivi par les autres disciples. Il adopta plusieurs comportements en
guise de respect et d’honneur. Il baissait la voix devant Cheikh Ahmadou Bamba,
ne porta jamais de chapeau en sa présence, s’interdisait de tendre ses jambes,
allant jusqu’à recueillir l’eau de ces ablutions pour la boire. Et ce qui le
démarqua exclusivement des autres, quand ils étudiaient, lui était au service
du Cheikh et de ses épouses.
Son comportement intriguait les
autres disciplines et Serigne Touba lui-même, qui encore sous la plume de Cheikh
Muhammadou Bachir dit :
« Ce qui est étonnant, c’est
que je n’avais vu quelqu’un traité de cette façon, et le mouride lui-même ne
l’avait pas vu et ne l’avait pas non plus lu dans les livres » Cf Minanul
Bakhil Khadim de Serigne Bassirou Mbacké).
Surement dans ce monde il serait
catégorisé dans la classe des « sans ambitions » (puisqu’il se
mettait exclusivement au service du Cheikh et oubliait son ego), ou bien dans
celle de ceux non « lucides » (la société qualifierait les gestes de
Mame Cheikh d’une personne non douée de raison puisqu’il est allé jusqu’à boire
l’eau de ses ablutions). Mame Cheikh est une paix intérieure imperturbable, une
foi inébranlable à Cheikh Ahmadou Bamba, une discipline spectaculaire, un amour
du prochain indéfectible et mieux un art de la générosité.
Et pourtant non ! Mame
Cheikh Ibrahima FALL était un homme issu d’une famille royale du Cayor, donc
devait devenir roi. Et contrairement aux idées véhiculées, Mame Cheikh Ibrahima
FALL était très instruit, parlant, et écrivant la langue arabe. Dans sa fiche
de renseignements auprès de l’administration coloniale il est décrit comme
« Remarquablement intelligent ». Il était Propriétaire de plusieurs
maisons à travers le pays. D’ailleurs dans ses lettres à l’administration, il
était écrit « Ibrahima FALL marabout-propriétaire ». Il était
patriote infrangible car ayant participé à tous les combats de la marche vers
l’indépendance à titre illustratif un envoi de centaines de personnes
dont ses fils a permis au SENEGAL de compléter les tirailleurs sénégalais à la
veille de la Guerre Mondiale.
Sans pourtant prendre
l’apparence, il était l’un des plus puissants économiquement parmi les
mourides. Sa fiche de renseignements fait état d’au moins 13 propriétés (vers
1913) notamment à Louga, Thies, Ndande, Saint Louis et Diourbel. Fin diplomate
en négociation, il entretiendra de multiples correspondances avec
l’administration française sur les conditions de détention de Serigne Touba. En
coulisse, quand tout le monde s’activa pour la libération du Cheikh, ce fut lui
officiellement, qui écrivit au gouverneur du Sénégal pour demander la
libération du Cheikh qui « est entre les mains des Français depuis
quatorze (14) ans Cf (Lettre datée du 23 janvier 1909).
La demande continua de
faire son chemin, et Ibrahima Fall échangea de nombreux messages avec
l’administration, gagnant au passage le soutien de membres de la classe
politique de Saint-Louis.
Il représente alors le modèle
typique et authentique du Mouride. Qu’en est-il de nos jours ? L’on se
réclame à tout point de rue « Baye Fall / Yaye Fall » ce mot plein de
sens. Des acolytes à seconde nature, femmes et filles au publipostage douteux,
des fumeurs délabrés de chanvres indiens et de drogue dure. Tout est bon pour
devenir Baye Fall et je douterais fort que Mame Cheikh Ibrahima Fall aurait
accepté tous ces gestes pourris fait sur son dos. Certains même vont jusqu’à
s’autoproclamer Baye Fall pour ne pas jeûner. Je suis tout à fait sidéré par l'image
populaire du Baye Fall ainsi dévouée et qui est très souvent perçue à travers
des déformations multiples. Il est souvent associé à un personnage grossier
habillé de haillons multicolores, la chevelure débroussaillée et la démarche agressive.
Et si mon constat est bon, il n’y
a pas une seule rue de la capitale où on ne rencontre ses nubiles la foi et le
modèle de Mame Cheikh IBRAHIMA FALL en bandoulière proposer des tasses de café
et des baguettes de pain aux jeûneurs et cela dans une parfaite enthousiasme.
Le modèle d’altruisme légué par Mame
Cheikh me séduit!
Le véritable Baye Fall est une
vie austère qui le détache de tous les interdits. Au-delà de tous les clichés
le faisant apparaître comme un délinquant en mal de refuge social, le disciple
de Mame Cheikh Ibrahima Fall se veut le prolongement de celui qui fut l'
exemple du bon disciple et symbolise le Mouridisme sous ses facettes
économique, sociale et culturel.
Cette silhouette de Mame Cheikh
Ibrahima expliquerait aussi les quelques balbutiements et comportements de
quelques énergumènes Mourides. Un Cheikh Amar, milliardaire de surcroît,
s’engouffrant dans les poussières des champs de Khelcom, un Balla Gaye (tout en
ne pas maîtriser les contours de sa personnalité) reniflant les odeurs succulentes
des repas après avoir beaucoup sué dans les cuisines de Serigne Bassirou Bara
lors du Magal de Touba. Bref, tous ces gestes décrivent la simplicité que Mame
Cheikh Ibrahima Fall a léguée.
Ainsi le Mouride quel que soit son
degré d’implication et son niveau de vie se doit d’être humble, tout
déposer : médailles, prévalues et honneur avant d’entrer dans le jardin de
Serigne Touba. Ce qui est fortement contraire de ce que l’on voit aujourd’hui.
Certains se croiraient d’ailleurs au même niveau que leur marabout jusqu’à
croire qu’ils pourront hériter de leur femme si décès en survenait. Tout cela
puisqu’ils sont promus à un rang d’honneur dans la société accompagné d’une
influence médiatique et personnelle sans faille.
abdoukhadre2011@gmail.com
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