DAHIJ est le tout
premier livre de Felwine SARR publié aux éditions Gallimard en 2009 dans la
collection L’Arpenteur dirigée par Gérard Bourgadier. Plusieurs casquettes :
Agrégé d’économie, Ecrivain, Musicien, libraire, éditeur, Professeur d’université
et pratiquant des arts martiaux. À ses heures quand on parle de lui, on le
qualifie de multidimensionnel.
DAHIJ est un ouvrage très personnel. La découverte de soi, l’introspection.
Trouver sa vérité intérieure sur plusieurs plans : intellectuel,
esthétique, spirituel et psychologique. J’ai été assez agréablement surpris par
ce passage que Felwine fait du récit dans un univers très concret, dans une
ville avec des gens qui marchent, qui parlent, des choses qui arrivent et suivi
brusquement d’une césure nette, d’un passage à une réflexion beaucoup plus
profonde, une méditation sur la spiritualité, sur le rapport à soi et sur le
rapport à l’autre. Partir de l’abstrait pour toucher le sens concret de tout ce
qui existe, voilà DAHIJ.
L’ouvrage rédigé en 33 chapitres et qui s’étend sur 133 pages
montre un degré de pure profondeur. L’auteur y laisse sa trace, celle de son
vécu quotidien. Une encre indélébile qu’aucun auteur ne peut contrôler. « Un
texte en dit plus sur l’auteur que l’auteur ne veut livrer de lui-même ». « Ce
matin, les écrivains ont gagné. Je n’ai pas lu une ligne du Coran. J’ai suivi l’émission »
et « Dans le bus, je plonge ma main dans la poche intérieure de mon
blouson. J’hésite entre le Cahier d’un retour… et Feuillets d’Hypnos » en
sont les témoins. L’auteur partage avec nous ses temps littéraires et l’importance
de produire plus particulièrement celle d’écrire. « S’adresser à tous de
la façon la plus exigeante qui soit : le livre » Une manière de dire
que l’écrivain doit être lucide, objective quant à la manière d’écrire. Ni
optimisme béat, ni pessimisme profond, regarder le réel tel qu’il est et le
décrire dans sa globalité.
Il nous lègue le visage et nous montre comment l’art de
léguer est indispensable. Si tout disparaîtra, il n’y aura que l’art qui puisse
témoigner notre vécu sur terre, d’où l’importance de produire, de léguer, de se
suicider, de se confier. « Alors pourquoi écrire, créer, s’indurer ? […]
Parce que l’art est un éloge de l’infini. Au cœur de la beauté, le temps n’existe
plus. »
Je considère DAHIJ comme l’inverse du mot « JIHAD »
qui n’est rien d’autre qu’un combat féroce contre soi en général ou contre tout
le monde, tout ce qui bouge. L’auteur nous avertit dès lors qu’il ne s’agit pas
de tirer sur tout ce qui bouge. « Ce livre n’est pas Zugufar, l’épée à
deux têtes d’Ali qui tranche les têtes des infidèles à la bataille de Badr. Ce
n’est pas non plus une confession car il n’y a rien à avouer. » L’humain
doit tuer son orgueil et se regarder soi-même dans un miroir. Assumer sa part
de vanité, de méchanceté et d’hypocrisie. Le seul combat que l’on peut mener c’est
un combat avec soi-même. L’auteur nous pousse à considérer autrui non pas comme
une menace mais comme un échelon pouvant nous servir à graver nos fautes sur du
papier, destiné à être jeté un jour. « Se regarder avec honnêteté, l’adversaire
n’est rien d’autre que soi-même. L’autre, un partenaire qui vous donne de son
temps afin que vous gravissiez votre être. Ici, on est ensemble et seul à la
fois. »
Les vertus et les valeurs de ce livre c’est la recommandation
sempiternelle du partage, de l’amour, du « cesser l’ego ». Et d’ailleurs,
une attitude qu’il fustige à l’encontre des écrivains, pourquoi ne
partageraient-ils pas leurs vécus, leurs souffrances, leurs peines et leurs
expériences ? Pourquoi ? « Pourquoi la plupart des écrivains ne
racontent-ils pas le chemin de leur éveil ? […] Pourquoi font-ils comme s’ils
étaient nés d’eux-mêmes ? » Felwine Sarr montre à quel point le degré d’utilisation
du langage et de l’intimidation est le précurseur de toute guerre. En
effleurant les génocides et les crimes commis un peu partout en Afrique, il y
montre le fort taux de pénétration du langage. « Toujours avant l’atteinte
à l’intégrité physique, le langage prépare le terrain. »
DAHIJ fait partie de l’un de ses ouvrages qui nous enseignent
l’endurance, la quête de soi et le repos éternel de l’âme. Le balayage de l’ego
et du surmoi. L’ouvrage recommande d’endurer s’il le faut d’une belle endurance
en tuant notre égo qui est notre unique adversaire en réalité. « Endurer toutes
choses jusqu’à l’extinction du sentiment de l’importance de soi. Et, ce
jour-là, on endure plus rien, car le moi qui endurait est mort » Recommandant
le silence comme tout bon sage, il permet d’accéder à la réalité supérieure, à
ce qui est caché dans les noumènes. « Silence, extrême forme de liberté »
Le cœur même a besoin de silence autre que celui imposé à l’hôpital, entouré
par des fils tordus nous garantissant un sentiment couché de recouvrer la vie
déjà perdu. « Le battement du cœur ne requiert pas d’effort, il œuvre au
repos »
DAHIJ nous souffle à l’oreille un secret pour reconnaitre les
écrivains dans leurs propres silhouettes. Ecrire c’est se trahir, c’est se
livrer, c’est se sacrifier et se révéler sans complaisance. « Ecrire c’est
être seul », « Le livre est l’un des rares lieux où l’on peut parler
sans mentir » Explorer la réalité intime des écrivains chers lecteurs si
vous voulez découvrir ces choses qui sont destinées à être tues à jamais, à
être tuées sur des pages blanches. Comme écrire c’est se livrer, je doute fort
que Felwine se cache sur des personnages pour dire et divulguer des expériences
vécues. Ne lègue-t-il pas ses mots à des personnages, des gens qui n’existent
pas ? Singhiam qui est-ce ? Laye ? Niominka bi ? Démosthène
Layi ?
Felwine appelle les écrivains à plus d’optimisme quant aux
devenirs du continent africain. Nombreux sont ceux qui écrivent et qui exposent
les tares et les vices qui secouent l’Afrique. A force d’imposer et de sculpter
ces idées mauvaises, la communauté internationale finit par se faire une idée faussement
et fortement ancrée. « On leur rétorquait fatalement : Mais c’est
vous-même qui en parlez dans votre livre : les enfants soldats, les
guerres chroniques, l’excision et j’en passe… C’est vrai que ce continent est
effrayant ! »
L’auteur parle de religion aussi d’une manière nette. La
prière lorsque Bouba voulait savoir
si Singhiam avait fait sa prière du
matin. Une question fatale « Après tout c’était à Dieu que les prières étaient
adressées » Et pourquoi nous humains devons toujours rendre compte aux
autres quant à l’accomplissement d’un acte dévotionnel destiné à Dieu, à son
Prophète ? C’est une culture commune à la sénégalaise. Notre système ici
nous cadenasse à rendre des comptes, à se justifier, à s’appuyer sur des liasses
de preuves qui n’existent pas, sur des épines comme pour en prouver la
solidité.
L’auteur nous plonge aussi dans le vécu quotidien de la
capitale sénégalaise. La routine « la route de Rufisque. Quatre voies étroites
bordées d’entreprises de la zone franche industrielle. Embouteillages,
dépassements dangereux, cars rapides. Au dos de chaque véhicule, un dicton, une
invocation pour conjurer le sort. Chaleur suffocante, gaz d’échappement, bruits
de klaxons, lenteur. » La lutte
contre soi ne peut être reportée. Il faut lutter nous dit DAHIJ, encore lutter.
Même si on craint la mort, toujours lutter car la mort « Ce n’est qu’un
rendez-vous différé » dixit Felwine. Car, de toute façon, on mourra en
dehors de la lutte, en luttant aussi on mourra un jour. Donc mieux vaut lutter
pour ne pas mourir trop tôt.
DAHIJ ne laisse pas la dette envers nos parents, « Akou
Njourel ». Cette dette fondamentale, bien conçue avant notre naissance a
bel et bien des limites. Devrons-nous sacrifier TOUT et TOUT au nom de cette
dette bernée à l’envers de nos jours ? « Que des destins brisés, de
vies ratées, de talents inhibés par cette terrible oppression ! Ce crime
était d’autant plus odieux qu’il se couvrait du manteau de l’amour, de l’éducation,
et de l’expérience à transmettre » Certains se veulent pilote-moteur du
destin de leurs fils ou filles. Combien sommes-nous d’ailleurs à choisir une
filière d’université avec la présence fulgurante de la pression venant de nos
parents ? Des sentiments et des passions tant gâchés par nos parents au
lieu et place d’un parcours professionnel de haute facture.
Felwine pointe de la plume la perte de valeurs, la décadence
d’une société sans repère. Les principes auxquels nos pères s’étaient tués et
battus n’ont rien servi à une société complexe sénégalaise. Le « Ngor », le « Fite »
et le « Jom » ont été définitivement enterrés. Il revient sur la
valeur sure que toute société se doit d’incarner : «le Soutoura /
la pudeur» qui voudrait que ce qui se sait ne se dise pas. Aujourd’hui
cela n’existe plus. On sort et expose aux yeux du public les défauts d’autrui,
sa panne financière, ses limites et ses problèmes familiaux et sentimentaux. Nous
sommes nombreux à allumer notre télévision remplies d’informations « buzz »,
à consulter et lire les pages web uniquement par le salut du « buzz »
et du « succès ». Dans le jardin intime d’autrui, on est prêt à y
planter nos propres fleurs. Nous devons nous intéressés des vices d’autrui que
quand nous avons définitivement curé les nôtres. « La société du soutoura
est devenue la société du suggéré, du pas dit, du caché, de l’hypocrisie »
dixit Felwine.
DAHIJ ne laisse pourtant pas la production artistique. Il
appelle les artistes à plus de responsabilité et de persévérance. La
Responsabilité Sociétale des Artistes (RSA). Pas de capitulation face aux
sirènes de l’argent. Travailler plus le fond et la forme avant d’être exposé au
public. Plus mûrir son œuvre avant de la servir sur le plat. Felwine, le
musicien. « Un artiste est une galaxie. Dès sa naissance, il rougi, s’aggrave
et s’éloigne. Ainsi, la lumière peut éclairer sans consumer. La plupart des
êtres ne souhaitent pas être consumés. Ils craignent l’enfer. Une étoile se
plaint-elle de son destin ? » Ne pas se fier au succès commercial. Le
fondamental c’est d’avoir une œuvre qui persiste, qui perce et qui dure dans le
temps et dans l’espace. Et pour ceux qui font de la poésie « La poésie
était une station, la plus élevée de toutes. Depuis quand le supérieur
devrait-il se sacrifier à l’inférieur ? »
On en revient encore et encore. La religion. « L’opium
du peuple » Marx. Nous devons après
DAHIJ apprendre à user de notre raison pour appréhender la religion à nos plus
belles manières. L’auteur pèse et avertit sur l’enjeu et le rôle néfaste que
peut avoir l’ego et l’orgueil sur nos actes quotidiens. « Pharaon fut
frappé par la douleur lorsque s’abattirent sur lui les dix plaies, c’est son
orgueil qui l’empêche de L’appeler. Satan par orgueil refusa de se prosterner devant
Adam » Nous devons apprendre à comprendre notre orgueil, le dompter, le
tuer et l’enterrer. Et s’il le faut l’enterrer à vie ! Endurer l’épreuve,
aussi douce soit-elle car l’épreuve telle que cette vie se présente à nous est
inévitable et inéluctable. N’est-ce pas faire preuve d’endurance que de faire
face à l’endurance ? A la souffrance ?
Toujours la quête de soi. L’oubli de sa personne et de son
égo semble être l’un des chevaux de bataille de l’auteur. Oublier l’égo mais
comment ? Certes, Felwine nous dit qu’à la hauteur de certains espaces, l’oubli
ne résiste plus à la pression aérienne car il sera assujetti à un exercice d’une
très profonde attention, l’immersion dans le flux cosmique. Il est de ces
espaces « le livre, le théâtre, la salle de musique, le dojo… », « Où
l’on oublie son égo tyrannique […] En y abandonnant son moi égotique, on y fait
la paix avec soi-même » Même si certains n’ayant pas compris le sens de la
méditation tenteront toujours de faire le contraire « Hélas, les idiots
trouveront toujours le moyen de faire d’une mosquée une pissotière ». Mais
ils ne se rendent pas compte qu’ils participent eux-mêmes à la quête de la
vérité cachée, « de la totalité et permettent parfois à la lumière de se
manifester »
L’auteur nous laisse perplexe des fois même s’il s’agit d’une
déconstruction créatrice. Déconstruire pour reconstruire, mais reconstruire
quoi finalement ? Le bâtiment déconstruit ? Pour le rendre plus beau,
plus somptueux ? Felwine recommande une sorte de viatique, « Eviter
la vanité », « Être de bonne compagnie. Faire partie de ceux qui
diffèrent autour d’eux, dans l’atmosphère, joie et paix. », « Ne
jamais rien quémander. Ni amour, ni tendresse. », « Ne céder à aucune
pression, si douce soit-elle » Une pression douce ? Le frein à main
qui me tourmente jusqu’ici c’est la reddition des comptes que déconseille
Felwine, « Ne pas rendre compte. Ne pas se confier » Et Mariama Bâ, Ecrivaine
qui nous recommandait dans Une si longue lettre que « la
confidence noie la douleur » ? Mais il est fortement recommandé que
dans des périodes de détresse et de conflit avec son MOI personnel de ne jamais
s’aventurer à extérioriser ses sentiments au prix du mépris ou de sa diffusion
large. Rendre compte ne signifierait jamais l’obtention d’un gain de cause. Rendre
compte ou ne pas rendre, le cerveau humain est cadenassé à croire et à exécuter
de manière systématique tout ce qui lui passe à l’oreille.
L’autre partie très intéressante qui éduque et prépare l’Homme
aux soubresauts de la vie est révélée dans le chapitre « Forêts claires,
forêts obscures ». « Emprunter les chemins tracés est une étape
nécessaire de l’apprentissage. Mais il arrive un jour où chaque homme doit
traverser sa propre forêt. » Il est important d’avoir un mentor, un repère
droit ou rectiligne. Mais un jour, il faudra prendre son propre stylo
accompagné d’une feuille pour tracer sa propre ligne droite. Aucun individu ne
pourra y échapper. Un jour arrivera où chaque personne posera sa propre pierre
sans piper mot. Se préparer à la bataille est l’unique chose qui vaille.
L’enracinement est une des valeurs que propulse DAHIJ avec l’exil
de l’auteur. Une partie de sa vie passée à l’extérieur du pays en quête de la
connaissance. Toujours étudier. Mais les réalités quotidiennes ne doivent pas
nous empêcher de s’informer de ce qui se passe au terroir. La famille d’accueil
ne doit aucunement sentir cette césure radicale une fois exilé. Prendre des
nouvelles, encore des nouvelles. Se ressourcer, s’arroser. Se mouvoir et s’armer
de patience. « D’ici, on peut choisir d’en prendre conscience ou de s’en
détourner en ne s’informant pas. La distance réduit la proximité
compassionnelle. « Le temps et la distance strient nos âmes » dixit l’auteur.
Après un long récit de méditation, de remise en question et
de déconstruction, l’auteur rassure « Son écriture témoigne non pas de ma
liberté, mais de son aspiration » pour dire que lui non plus n’est pas à l’aune
de cette liberté mais de son aspiration, de son désir de l’obtenir. Et pour le
moment, l’heure est au rendez-vous, « Le silence peut-être un jour. En
attendant, le jihad continue. » DAHIJ !
Ma citation préférée :
« Mes maîtres du jour me disent pourtant de cesser de vouloir devenir, et
de me contenter d’être. »
abdoukhadre2011@gmail.com
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